Un objectif consensuel mais difficile à atteindre
La loi agricole actuellement en discussion à l’Assemblée nationale a suscité de nombreuses réactions, notamment grâce à un amendement retentissant : l’objectif de doubler les surfaces agricoles dédiées à la production biologique en France. Avec un consensus politique presque unanime, cet objectif semble pourtant susciter des réserves et des inquiétudes quant à sa faisabilité. En effet, il est actuellement estimé que seulement 11% des surfaces agricoles sont exploités en bio, et le précédent objectif de 15% à atteindre d’ici 2022 n’a pas été réalisé. Dans ces conditions, pourquoi poursuivre dans cette direction ? Quelles sont les conséquences d’un tel objectif ? Dans cet article, nous tenterons de répondre à ces questions en examinant de plus près la réalité et les implications de la production biologique en France.
Des rendements plus faibles et des coûts plus élevés
L’un des arguments principaux contre l’objectif de doublement des surfaces en bio est lié à la réalité de la production biologique elle-même. En effet, les rendements en agriculture biologique sont généralement plus faibles que ceux de l’agriculture conventionnelle, avec une différence de deux fois inférieure en moyenne. Cela s’explique notamment par le fait que les pratiques biologiques impliquent un usage des terres moins rationnel, avec des techniques plus axées sur le respect de l’environnement que sur l’efficacité à court terme. De plus, il est important de noter que l’agriculture bio nécessite également une main-d’œuvre plus importante, ce qui se reflète sur les coûts de production. En effet, le nombre de travailleurs nécessaires pour maintenir la qualité et la certification biologique est souvent plus élevé, ce qui rend les productions biologiques plus chères pour les consommateurs.
Une agriculture réservée à une élite ?
Outre la question des coûts et des rendements, il est important de se pencher sur l’impact social de l’objectif de doubler les surfaces en bio. À première vue, l’agriculture biologique peut sembler être une solution durable et respectueuse de l’environnement, mais il est essentiel de se demander pour qui cette agriculture sera réellement accessible. En effet, avec des coûts de production plus élevés, les produits biologiques sont souvent vendus à un prix plus élevé, ce qui les rend moins accessibles aux consommateurs à faible revenu. Ainsi, l’objectif de doubler les surfaces en bio peut sembler favoriser une agriculture réservée à une élite consommant des produits biologiques à des prix élevés, tandis que la majorité des agriculteurs et des consommateurs, principalement issus de la classe moyenne et de la classe ouvrière, seront exclus de cette tendance.
Une crise dans le marché bio
Des chiffres inquiétants
À l’heure actuelle, le marché bio en France connaît une baisse significative de ses ventes. En effet, les chiffres récents montrent une perte de 550 millions d’euros en seulement deux ans, alors que les ventes en distribution spécialisée ont connu une chute importante et que les produits bio sont de moins en moins présents dans la grande distribution classique. Cette baisse des ventes peut être attribuée en partie à l’inflation croissante des prix des produits biologiques, qui a entraîné une baisse de la demande des consommateurs. De plus, la crise sanitaire actuelle a également affecté le marché bio, avec une demande toujours plus faible et une capacité de production insuffisante en réponse à cette demande.
Les cantines scolaires ne peuvent pas tout faire
Lors de son passage en Assemblée nationale, le projet de loi agricole prévoyait que 25% des repas servis en cantines scolaires seraient issus de l’agriculture biologique. Cependant, cette mesure n’a pas eu les effets attendus. En effet, les budgets alloués aux cantines scolaires ne sont souvent pas suffisants pour couvrir les coûts supplémentaires de l’achat de produits biologiques, ce qui rend difficile la mise en œuvre de cette disposition. De plus, même si cette mesure était appliquée, cela ne suffirait pas à atteindre l’objectif de doubler les surfaces en bio d’ici 2030. En clair, il n’y a pas de solution miracle pour stimuler la demande de produits biologiques, et les mesures actuelles ne semblent pas être efficaces pour développer le marché en France.
Le danger de la précipitation politique
Enfin, il est important de souligner le danger d’une précipitation politique dans un domaine aussi complexe que l’agriculture biologique. En effet, le marché bio en France était initialement un marché de niche qui fonctionnait bien, avec une demande stable et une offre contrôlée. Cependant, depuis que l’État a décidé de se mêler de la politique agricole et de développer le marché sans tenir compte de la demande, de nombreux agriculteurs biologiques ont vu leur situation financière se détériorer considérablement. Dans ces conditions, il est clair que doubler les surfaces en bio sans évaluer les conséquences de cette décision peut avoir des conséquences désastreuses pour les fermes biologiques déjà existantes, ainsi que pour l’ensemble du marché et de l’économie agricole.
Conclusion : la durabilité avant tout
En conclusion, le débat sur le doublement des surfaces en bio en France est complexe et suscite de nombreuses interrogations. D’un côté, l’objectif peut sembler louable, avec une orientation vers des pratiques plus durables et respectueuses de l’environnement. Cependant, les réalités du marché et de l’agriculture biologique doivent également être prises en compte, avec des coûts plus élevés et une demande incertaine. Dans ces conditions, il est essentiel de prendre une approche réfléchie et équilibrée afin de garantir la durabilité de l’agriculture dans son ensemble. Au lieu d’une politique précipitée basée sur des objectifs irréalistes, il est nécessaire de travailler ensemble pour trouver des solutions efficaces et durables qui soutiendront à la fois l’environnement, les agriculteurs et les consommateurs.